Il y a bien longtemps, à l'époque où l'illustre Pologne s'étendait de mer en mer, un jeune berger faisait brouter ses brebis sur les pâturages fleuris se trouvant au pied de Giewont, l'une des montagnes des Tatras. Il traversait de nombreuses fois les clairières, les routes des forêts et les flancs des montagnes de Katalówki jusqu'à la vallée de Strążyska. Lorsqu'il avait des moments de libre, il grimpait les falaises pour pouvoir observer et apprécier la terre embrumée de ses aïeux.
Un jour, il alla plus loin que jamais dans le terrain rocheux. Après avoir atteint une certaine hauteur près de la falaise du nord de Giewont, il aperçut une crevasse dans la roche. Intrigué et tenté par la curiosité, il décida d'y pénétrer. Il se trouva dans une énorme caverne dont l'aspect féerique le poussa a continuer l'exploration.
Il errait dans le labyrinthe souterrain pendant un long moment lorsque soudain, de loin, il entendit le hennissement d’un cheval. Étonné et effrayé, il décida toutefois de dompter sa peur et de vérifier de quoi il s'agissait. Plus il s'approchait de l'origine du bruit, plus l'humidité et la fraîcheur naturelle de la caverne changeaient progressivement en chaleur. Le berger n'arrivait pas à s’expliquer ces étranges phénomènes.
Finalement, il arriva dans une grande salle au milieu de laquelle se trouvait un grand feu. Autour de celui-ci, protégés par leurs lourdes armures, les têtes posées contre les pommeaux de leurs épées plantées dans le sol, dormaient des chevaliers. Dans un coin de la salle, se reposaient tranquillement des chevaux, dans l'attente d'un signal de leurs maîtres. Le berger fut saisi d'une telle frayeur qu'il prit immédiatement ses jambes à son cou sans faire attention à ses alentours, si bien qu'il finit par trébucher sur une roche en faisant un bruit monstrueux. Cela réveilla l'un des chevaliers, qui demanda d'une voix de stentor au jeune garçon :
« Est-il temps ?
- Qui êtes-vous ? demanda le berger effrayé.
- Nous sommes les chevaliers de la Couronne. Nous dormons ici depuis des siècles. Lorsque notre patrie se trouvera en danger, nous nous réveillerons, prendrons nos épées, enfourcherons nos chevaux pour défendre les Tatras et toute la terre polonaise contre ses ennemis. Est-il temps ?
- Non, Monseigneur. Pas encore.
- Dans ce cas, permettez-moi de continuer de dormir avec mes confrères. »
Et ainsi fit le berger. Il sortit vite de la caverne et raconta son aventure à tous ceux qui voulaient l'entendre. Et c'est de cette manière que l’histoire put survivre dans les légendes et dans les cœurs des Montagnards qui croient que leur patrie est en sécurité, gardée par une armée cachée de chevaliers intrépides et vaillants.
Plus tard, de nombreux « ceper » vinrent aux Tatras. Beaucoup d'entre eux étaient équipés par des inventions technologiques qui leur permirent d'analyser presque chaque centimètre des montagnes. Mais personne ne réussit à trouver cette fameuse caverne…
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La légende que vous venez de lire existe en deux versions et les deux mentionnent bien sûr Giewont, l'une des montagnes visibles depuis Zakopane que nous avons déjà décrite ici. Cette montagne pourrait être considérée comme la plus célèbre de Zakopane, peut-être justement grâce à ces deux légendes. Vous en connaissez déjà la première version. La deuxième raconte que Giewont lui-même (ce nom propre est masculin dans la grammaire polonaise) est un chevalier dormant qui se réveillera quand il faudra défendre le pays. C'est bien connu dans la culture polonaise, la montagne ressemblerait à un homme couché sur le côté !
La version que nous avons partagée avec vous mentionne un pays qui s'étend de mer en mer. On fait référence à « l'âge d'or » du pays vers 1630 lorsque la Pologne et la Lituanie étaient réunies et le territoire des deux, appelé République des Deux Nations, s'étendait de la mer Baltique jusqu'à presque la mer Noire. Ce territoire comprenait la Pologne et la Lituanie actuelles, la Lettonie, la Biélorussie, l’Ukraine et une partie de la Russie, de la Slovaquie et de la Moldavie. Nous avons l'impression, peut-être à tort, que c'est une période historique oubliée en dehors de la Pologne et de la Lituanie.
Dans le texte, on parle d'un berger. Cependant, la version polonaise utilise le mot ''juhas''. Il s'agit de l'apprenant du chef de troupeau, lui-même appelé ''baca'' (à lire ''batsa'', et non « baka » qui signifie « idiot » en japonais). De la même manière, à la fin du texte on parle des montagnards alors que dans la version polonaise on emploi ''górale''. Tous ces termes sont spécifiques au Tatras, à leur population et au dialecte local. Ainsi, nous avons décidé de ne pas traduire le mot « ceper » que l’on retrouve dans le dernier paragraphe – il s’agit du quelqu’un de « l’extérieur », un « immigré » dans les montagnes. C'est un peu comme si on parlait des Bretons, des Catalans ou encore des Basques en France - une culture locale à l'intérieur de la culture nationale.
Comme toujours, on pourrait croire qu'il s'agit d'une légende isolée et sans importance. Il n'en est rien. Tout le monde la connaît et continue de la transmettre - à l'oral, à l'écrit, et même sur Internet. Lorsque la Russie a commencé l'invasion du l'Ukraine en 2022, Poutine essayait d'intimider la Pologne. En réponse, le président polonais n'a pas trouvé mieux que faire référence à un fameux dicton assez malpoli (''nie strasz, nie strasz…''), ayant pu être considéré comme une insulte diplomatique, voire même une provocation. Bien évidemment, cela a inquiété plus d'un. Mais la réaction des communautés sur Internet était différente et les memes étaient nombreux, disant ''restez tranquilles, on a Giewont pour nous défendre''.
Nous espérons que le conte vous aura plu – et que, qui sait, vous le lirez peut-être à vos enfants ! N’hésitez pas à partager avec nous dans les commentaires si vous en connaissez d’autres versions ou détails !